vendredi 3 octobre 2014

Aucune rencontre n'arrive pas hasard.



Agra, Vallée du Gange

Distance parcourue depuis le départ : 9389 km

Ou est Michel ? : Par ici.

Aucune rencontre n’arrive par hasard, est le titre d’un livre de Kay Pollack, que j’ai eu sur mon chevet pendant quelque temps. Et si c’était vrai ?

Après avoir quitté Jaipur, le train entre maintenant en gare d’Agra, ville du Taj Mahal, sans aucun doute le plus beau monument indien. C’est donc très touristique et comme de bien entendu à la sortie de la gare, quelques dizaines de conducteur de tuktuk attendent les touristes pour les conduire dans des hôtels avec qui ils sont en combine et qui leur reverseront une commission.
Je suis en compagnie de Dara, équipière de voyage pour ce bout de route. En « routard » nous avons l’habitude de gérer ces situations. A peine dehors, un homme âgé, s’approche de nous. Trop vieux pour être un chauffeur de tuktuk, plutôt un taxi me dis-je. Il a les yeux rieurs, est souriant, jovial, le visage est rond, chauve et une jolie moustache poivre et sel barre son visage. Il porte une paire de lunette à monture épaisse. Nous nous accordons sur le prix de la course et comme il est d’accord pour nous emmener à l’hôtel que nous avions sélectionné dans le guide du routard, nous montons dans son tuktuk.

Il fait beau, la circulation est fluide. Nous roulons depuis quelques centaines de mètres seulement. Je me sens bien, heureux de vivre. Notre chauffeur Ameen, roule tout doucement, tranquillement, on dirait qu’il prend plaisir lui aussi à nous transporter. Bref, c’est harmonieux. Je me tourne alors vers Dara et je lui dis : « Je ne sais pas pourquoi, mais je pense que ce gars-là, n’est pas sur notre route par hasard. Je sens qu’on peut lui faire confiance. ».

Pour nous montrer le Taj Mahal, Ameen s’arrête sur le bord de la route. Nous apercevons le monument au loin. Nous discutons un moment et Ameen fini par nous lâcher que notre hôtel est beaucoup trop excentré et nous propose de nous conduire dans une guest house, plus centrale et offrant les mêmes tarifs et les mêmes prestations que celle que nous avions sélectionnée. J’en discute avec Dara, et d’un commun accord, nous décidons d’écouter notre instinct et de lui faire confiance. L’animal est habile... Il nous conduit donc oh surprise, dans un établissement à deux pas du Taj Mahal qui figure lui aussi dans le routard et dont il est dit le plus grand bien, ce qui se vérifiera par la suite.

Au moment de régler Ameen, je lui demande s’il peut nous organiser les transports et les visites sur deux jours. Il est en effet préférable, dans une ville aussi touristique de louer les services d’un tuktuk à la demi-journée ou à la journée. Cela évite entre autre d’être harcelé à chaque instant. Il me propose un projet qui nous convient. Nous allons donc passer deux jours ensemble.
Le premier jour le contact s’établit doucement. L’homme parle peu, mais sourit et rit beaucoup. Il roule à deux à l’heure, prenant son temps ce qui ici est carrément anachronique. Quelque chose me trouble cependant mais je ne peux pas dire encore quoi. Chaque fois qu’il me parle, il se retourne franchement où alors s’arrange pour me regarder dans son rétroviseur. Le calme de cet homme m’intrique. Dans cette circulation effrénée, il ne se laisse jamais perturber pas les coups de klaxons. Alors que nous marchons vers un monument Ameen est un mètre devant moi, je lui pose une question. Il ne répond pas. Je me porte à sa hauteur et répète ma question. Toujours pas de réponse.
Je m’aperçois que je ne suis pas dans son champ visuel et là, ça fait tilt. Ameen est dur d’oreille. Pas sourd, mais simplement dur de la feuille.

Le second jour, après avoir vu le Taj Mahal au lever du soleil, nous partons pour « Fathepur Sikri » un site à 40 kilomètre d’Agra. Ameen nous fournit un taxi et son chauffeur. La visite achevée, alors que nous marchons sur le trottoir tout bascule. Dara qui marche à ma droite, pousse un cri et je jette brusquement sur le côté. Dans son mouvement elle me heurte et me déséquilibre, m’entraînant dans sa chute. Nous tombons. Du coin de l’œil, j’aperçois un serpent et je comprends immédiatement qu’il est la cause de ce qui est en train de se passer. A cet endroit-là, le trottoir est haut de plus de 50 centimètres. Durant la seconde que dure la chute, plein de choses me traversent l’esprit. Le serpent a-t’ il mordu Dara ? Elle crie. Peur ? Douleur ? Nous chutons lourdement sur la route. Elle dessous, moi par-dessus. Les cris redoublent. Tout s’est passé si vite. Non, elle n’a pas été mordue. Au moment de poser son pied sur la bestiole, elle a juste eu le réflexe de sauter. Par contre dans la chute, je suis tombé sur son genou. Elle a très mal et juste sous le genou apparaît déjà un hématome. Un passant s’arrête, puis deux, puis d’autres. Je m’arrange pour prévenir le taxi qui vient nous chercher. C’est un peu le « Bronx » autour de nous. J’entends un passant expliquer aux policiers qui arrivent que nous venons d’être victime d’une « monkey attack » ! Une attaque de singe !!! J’interviens pour dire qu’il ne s’agit pas de ça, mais d’un serpent. Le flic me regarde tout penaud et me dit «  ah ok ». Nous filons en taxi vers Agra. En route on s’arrête acheter de la glace et du paracétamol. Une heure plus tard nous sommes devant l’hôtel ou nous attend Ameen prévenu par le taxi. Il décide de nous conduire à l’hôpital public et pas dans une clinique privée.

Nous arrivons à l’hôpital, les formalités d’accès sont brèves. On dépose Dara dans une chaise roulante et nous nous rendons aux urgences. Je reste avec elle, tandis qu’Ameen entre dans un bureau. Cinq minutes passent quand j’entends des éclats de voix. Je me renseigne. L’hôpital public ne veut pas nous accepter et souhaite nous diriger vers une clinique privée. Le ton monte. Ameen est entouré de six personnes. Il parle fort, pointe du doigt. Je demande des explications. Un interne me répond que le médecin spécialisé en orthopédie n’est pas là, qu’il est rentré chez lui. Amen soutient que c’est faux et qu’il est hors de question que nous allions ailleurs. De son point de vue, ce n’est pas parce que nous sommes des étrangers que nous devons être dirigés vers une clinique privée ou l’on va nous demander de fortes sommes pour les soins au prétexte que ce sont les assurances qui vont payer. Pendant que je discute avec l’interne, Ameen a changé de bureau. Ça hurle de nouveau. Ameen menace d’appeler la presse si le médecin n’est pas là dans les 20 minutes qui suivent et miracle, quelques minutes après le médecin fait son entrée. Il regarde rapidement la jambe et décide qu’il n’y a pas de fracture. Il passe sur l’hématome une pommade et bande le tout. Je demande à ce qu’une radio soit effectuée. Il refuse. Ameen prend alors le relais et dit au médecin : « OK, pas de radio, mais en sortant d’ici on va aller en faire une dans une clinique et si il y a fracture, j’appelle la presse et je leur fourni la radio ». A contre cœur le médecin nous dirige vers le service radiologie.

C’est au sous-sol de l’hôpital. Dara est allongée sous l’appareil à rayon X. Deux assistants la maintiennent en place. Quelques curieux sont là et regarde à un mètre à peine, on se demande ce qu’ils foutent là. Il y a en tout huit personnes dans la salle. Le radiologue se dirige vers sa console. Je comprends immédiatement qu’il ne va faire sortir personne de la pièce. Je décide de sortir rapidement et en effet, il prend deux clichés. C’est hallucinant ! Les assistants qui maintiennent les patients doivent prendre des doses de rayon à longueur de journée ! Puis le radiologue s’éclipse dans son bureau. Je la joue à l’indienne et rentre derrière lui sans rien demander et regarde les clichés. C’est net. Il y a bien fracture du plateau tibial.
Nous remontons voir le médecin. Il nous prend à par Ameen et moi dans son bureau et demande de but en blanc à Ameen : «  pour quelle ONG travaillez-vous ? ». Dans un éclat de rire celui-ci lui répond qu’il n’est qu’un simple « tuktuk driver » en qu’il ne travaille que pour son pays ! L’homme de l’art prescrit alors quelques cachets contre la douleur et nous demande de revenir le lendemain pour pouvoir plâtrer la jambe. Sur le chemin du retour nous nous arrêtons dans une pharmacie. Au moment de payer, alors que je sors un billet de 100 roupies (1,25 €), le pharmacien m’annonce que je lui dois 10 roupies (12,5 centimes). Ameen part alors dans un grand éclat de rire. Je me tourne vers lui, il est plié en deux et pleure de rire il me lance en enlevant ses lunettes pour sécher ses larmes : « Incrédible India ». C’est le slogan que l’on voit sur les affiches vantant le tourisme en Inde… Oui, vraiment, incrédible India !

Rentré à l’hôtel, Dara appelle son assistance. Elle va être prise en charge et rapatriée. Le médecin français nous demande de surtout refuser toute opération, d’immobiliser la jambe avec une attelle et se nous procurer des béquilles. Je demande à Ameen de me conduire dans une boutique ou je vais pouvoir trouver ça. C’est à l’autre bout de la ville. En effet ici les commerces sont organisés par quartier. Là, le quartier des tissus, ici celui du cuir etc…C’est un ami d’Ameen qui va m’y conduire. Nous voilà en route. Il est 19 heures. Il y a beaucoup de circulation et en centre-ville, nous tombons sur un embouteillage monstrueux. Nous sommes bloqués à un carrefour. Moto, rikshaw, vélo, auto, charrettes , vaches, chevaux. Il fait nuit. Il fait chaud, je suis en nage. Ça klaxonne de partout. Tous les véhicules se touchent. Les roues sont imbriqués les unes dans les autres. Les piétons qui traversent, passent par-dessus les voitures, enfourchent les motos, traversent les tuktuk, du coin de  l’œil j’en aperçois un passer à quatre pattes sous un cheval attelé et là, je tourne la tête sur ma droite. Un indien est là. Il me dévisage. Il tient en laisse une chèvre. La biquette, porte un collier de perle rose fluo ! J’hallucine ! Je rêve ! Me vient alors à l’esprit la vision d’une scène d’un album d’Astérix. Celle ou un légionnaire romain s’enfuit en courant du village gaulois en criant : «  ils sont fous ces gaulois ! ». Ce soir, après cette journée, fatigué, je suis un légionnaire romain perdu dans un village gaulois….

Vingt et une heure. Je suis de retour à l’hôtel et je prends un verre sur la terrasse avec Ameen qui est venu aux nouvelles. Il m’explique son point de vue. C’est un homme droit. Intègre. Il n’admet pas pour son pays des comportements pareils. C’est pour lui une insulte. Il a menacé d’appeler la presse car il y a quelques années un scandale impliquant des médecins a secoué la ville. Des restaurateurs indélicats intoxiquaient leurs clients, puis les dirigeaient vers des cliniques privées ou ils étaient soignés à des prix exorbitants. Les assurances payaient. Les ambassades étrangères, devant l’afflux soudain de cas d’intoxications alimentaires ont levé le lièvre. Seul un médecin a été arrêté. Ameen ne veux plus de ça pour sa ville, pour son pays. 
En nous conduisant dans une clinique privée, Ameen me confie qu'il aurait sans doute touché une commission de 1000 roupies. Le praticien en aurait facturé 40 000 à l'assurance....
 " but i don't want to do it. I don't want to kill tourism. I prefere working hard to get money.... This is not my way.'....

Que dire de plus.....









18 commentaires:

  1. Merci Michel de prendre le temps de nous faire vivre ton voyage.
    Tu fais de très belles rencontres et tu les mérite !
    Au plaisir de te lire.

    Je t'embrasse.

    Claude

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  2. Merci Claude. Toi, comme pas mal de membres de zebike.org, vous faîtes aussi partit de mes belles rencontres. ;-)

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  3. Mon cher Michel,
    Non seulement tu nous fais partager ton voyage, mais tes textes nous donnent aussi beaucoup d'émotion!
    Ton écriture est libre et claire, et nous touche. Il faut continuer et tout garder!!!
    A très bientôt, on t'embrasse!

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  4. Heuuuuu....... je ne suis pas d'accord avec Claude, les belles rencontres, ben pas pour Darra !!!! lol !
    Espérons qu'elle n'ait pas de complication et qu’elle puisse revenir finir son périple. Pour ce qui est de ton titre de ce récit, je suis tout à fait d’accord, "les belles rencontres n'arrivent pas par hasard" Il est bien dit que: le mal, attire le mal, le bon attire le bon, donc que tu fasses de belles rencontres me sembles naturel ;-)) vive ton prochain CR ! Bonne route mon pote

    Dany 86 !

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  5. Le décalage entre l Inde et ce que beaucoup vivent ici est juste incroyable.
    Merci encore pour partager tout ca avec nous.
    J espère que cela ne sera pas trop grave pour ta camarade.
    Serge/

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    1. Pas de nouvelles de ma camarade pour le moment, mais je vous en donnerais dès que j'en aurais ;-)

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  6. merci michel de nous faire partager ton aventure et rêver à d'autres horizons.je connaissais le coup de la panne mais celui du serpent, alors là...bon je taquine.on pense bien à toi, les palois catherine et patrick

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    1. la lecture de tes recits la magie et la beaute des paysages , la rencontre de belles personnes.nous hates le te lire .
      c est parce que tu es une belle personne que ce voyage est beau bonne route
      bisous chantal rt gilles

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  7. Je suis certaine que nos rencontres ne doivent rien au hasard, de chacune d'entre elles nous apprenons quelque chose. Ameen est visiblement une belle personne et une belle âme placée sur ton chemin au moment nécessaire. Tu feras d'autres belles rencontres, j'en suis certaine car tu les attires. Bisous.

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  8. Excellent ! J'ai adoré le passage avec la chèvre au collier rose fluo. Si j'en avais le pouvoir j'en ferai un tableau. Bisous. Bonne route

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  9. Merci Nathalie, si je recroise la chevre, je fais une photo ;-]

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  10. C'est génial a suivre , tu pourrais en faire un livre !

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